La France en Europe : la réaction plutôt que l'action !
Les rapports se succèdent qui confirment la perte d'influence de la France en Europe. Nos positions sont régulièrement minoritaires. Nous pratiquons avec entrain l'examen critique, mais peu nombreux sont les textes dont on peut nous accorder la paternité. Bref, nous sommes davantage dans la réaction que dans l'action, ce qui irrite nos partenaires.
Pourquoi cela ?
Il y a bien sûr la perte d'influence qui est la conséquence des difficultés économiques que nous rencontrons. Pour prétendre être un modèle à suivre, encore faut-il véritablement en être un !
Mais, je crois, qu'il y a aussi une autre explication qui est souvent ignorée : il existe, en effet, une différence culturelle de taille dans la manière dont sont prises les décisions en France et en Europe, de sorte que les comportements traditionnels de nos hommes politiques ne conviennent pas au mode de décision européen.
En France, tout se joue en fin de procédure. Il est toujours loisible au Gouvernement ou à un député de présenter un amendement ou un sous-amendement à tout moment. Dans notre mode de décision, tout est toujours possible.
Les lois sont en outre suivies de décrets d'application puis d'arrêtés, enfin de circulaires, qui font que l'essentiel de l'influence doit porter au terme de la procédure.
Le mode de décision européen est différent, voire contraire.
D'abord, contrairement à ce que l'on pense, l'adoption d'un texte par le collège des commissaires, ne marque pas le début de la procédure. A bien des égards, tout est déjà joué.
Ces textes sont, en effet, les conséquences de consultations passées qui ont donné lieu à des études d'impact poussées et à des recommandations précises : ce sont les communications de la Commission, ainsi que les livres verts et les livres blancs.
Dès lors, le texte adopté par le collège des commissaires, par exemple la directive services en janvier 2004, est déjà porteur d'une orientation précise, d'une philosophie, qu'il sera difficile de modifier.
Le Gouvernement, qui ne sera pas d'accord avec cette philosophie, sera, déjà, en position défensive. Déjà dans la réaction.
Ensuite, la procédure législative, elle-même, oblige les gouvernements à intervenir tôt. Pourquoi ?
1) Les textes de la Commission sont examinés par des commissions du Parlement européen, qui proposent des amendements. Ces amendements sont ensuite ou non adoptés en séance plénière au Parlement. Mais, et c'est là le point important, il est très difficile de proposer de nouveaux amendements en séance plénière. La procédure le prévoit, mais dans des circonstances très exceptionnelles. Il ne faut donc pas attendre la plénière pour agir.
Ainsi, pour la directive Bolkenstein tant décriée, tout se joue actuellement en commission parlementaire. Surtout, amis français, n'attendez pas la plénière de septembre pour intervenir !
2) Ensuite, lors du passage en 2ème lecture au Parlement européen, le rapporteur de la commission parlementaire ne peut pas introduire de nouveaux amendements qui n'étaient pas en 1ère lecture, sauf élément vraiment nouveau. Voilà un frein supplémentaire pour ceux qui interviendraient tard dans la procédure.
3) De plus, les amendements en 2ème lecture ne peuvent être adoptés qu'à la majorité de la totalité des membres du Parlement, alors qu'en première lecture la majorité simple des présents suffit. Cette nouvelle majorité, en 2ème lecture, est donc plus difficile à obtenir.
4) Enfin, la procédure de codécision prévoit que le Conseil des ministres, qui constitue avec le Parlement européen l'autre branche du législatif, ne peut adopter des amendements du parlement européen, qui auraient été refusés par la Commission européenne, qu'à l'unanimité de ses membres. A 25, cela est impossible. La procédure invite donc à un travail de compromis avec la Commission, c'est-à-dire à un travail, bien souvent, à la marge du texte.
Bref, comme on le voit, la procédure européenne est telle que, plus on avance dans le temps, plus il est difficile en réalité d'agir sur les textes. Le contraire, en quelque sorte, du mode de décision "à la française".
C'est ce que j'appelle "l'explication culturelle" de la perte d'influence de la France en Europe.